31 mai 2007

Entretien avec la FNEHAD


Dr. Elizabeth Hubert

Présidente de la FNEHAD, ancienne ministre de la santé en 1995

  1. Pensez-vous que, de manière générale, le système de santé français soit un axe de rayonnement stratégique de la France ? Axe de rayonnement stratégique signifie par exemple que notre tradition scientifique, notre modèle de protection sociale, notre organisation au niveau des hôpitaux puissent devenir un modèle ou une référence à l’extérieur de la France (dans le monde en général, dans l’UE, dans les pays en développement qui sont en train de se construire un système de santé, etc.)

Les grands principes (tendre vers un accès facile aux soins, avoir la capacité émettrice de soins) sont exportables et adaptables. Je suis plus réticente quant à l'hospitalier et l'ambulatoire. Il est primordial de ne pas distinguer l'offre de soins des systèmes locaux, notamment d'un point de vue organisationnel.

Notre système français est actuellement dépendant de la sécurité sociale et est solvable au 1er euro, ce qui est typiquement un luxe de pays riche, et ce n'est pas exportable.

Si les pays étrangers copient par exemple ce qui se fait en ambulatoire dans notre pays, ils risquent de connaître les mêmes méfaits, les mêmes risques.

Oui, le système est exportable mais il va falloir faire preuve d'humilité, et oser parler de nos erreurs avant.

Les carences sont nombreuses : prévention, éducation, épidémiologie (il est rare de voir actuellement des études épidémiologiques dont l'origine est française ; ce n'est pas considéré comme une science noble). Nous sommes trop sous le coup d'un système de soins curatifs, nous n'avons pas encore su prendre de réelles alternatives à l'hospitalisation. L'ambulatoire n'est pas assez développé en France (aux alentours de 40%), alors que certains de nos voisins européens sont d'ores et déjà à 60%, alors qu'il s'agit d'un poste de dépenses élevé.

  1. Dans ce cadre, pensez-vous partager la même vision du système de santé français que celle d’autres acteurs de votre domaine (hôpitaux privés/hôpitaux publics) ? Lesquels ? Même question concernant des alliances avec des acteurs à l’extérieur de votre domaine ? Par exemple : médecins, pharmaciens, association de patients, etc.

FHP : oui

FHF : oui

FEHAP : oui

Il faut comprendre qu'actuellement environ plus d'un million de personnes travaillent dans les milieux hospitaliers. Or, le système n'est pas là pour employer des gens, mais pour soigner les malades ; à l'image de l'éducation qui ne doit pas être là pour employer des professeurs mais pour enseigner, et donc avoir un nombre suffisant de professeurs enseignant un programme de qualité.

Chez certains interlocuteurs, une position centrée sur l’intérêt du patient est cependant trop souvent absente.

Or, l'hospitalisation à domicile fait appel à la fois à l'ambulatoire (besoin des professions libérales) et à l'hospitalier (la rigueur !). Par nécessité, ce sont donc des alliés. Cela implique des alliances, de la pédagogie, de la formation (par exemple dans le cas de malades souffrant de pathologies lourdes), et donc une interdépendance avec les structures existantes. L'hospitalisation à domicile est donc le meilleur exemple de réseau, de coordination des soins.

Seulement 8.000 places en France en hospitalisation à domicile contre 300.000 à l'hôpital. Le but est de doubler ce nombre d'ici 4 ans. Il est difficile de faire plus car cela dépend de plusieurs facteurs : réglementation, promoteur, relation avec les professions libérales et les hôpitaux (il est temps qu'ils comprennent qu'il n'y a pas de concurrence). On assiste actuellement à un mouvement général qui diminue le temps d'hébergement, qui tend vers un raccourcissement de la durée d'hospitalisation.

Avant de vouloir exporter notre modèle, il va donc falloir se poser deux questions primordiales : celui de la culture du pays local et celui de la solvabilité.

  1. Vous sentez-vous prêts à lier des partenariats avec tous les acteurs que vous venez de mentionner pour développer l’image du système de santé français à l’international ?

Oui, mais ce n'est pas une question d'image, c'est une politique qu'il faut penser. La France doit arrêter de croire qu'elle est un modèle en tout et pour tout.

La différence va se faire non pas sur des pratiques d'organisation mais plutôt sur des problèmes de décision. Ainsi, actuellement, la France a une bonne image en terme de greffes d’organe car certains centres sont à la pointe et pratiquent énormément.. Il ne faut pas pour autant oublier des affaires telles que le sang contaminé qui ne rendent pas le système de santé français crédible. Qualité et sécurité doivent donc être au programme.

Il y a peut-être trop de bons indicateurs qui cachent les mauvais qui ne doivent pas pour autant être oubliés, tels que le coût qui est considérable. De nombreux économistes se posent actuellement la question du rapport coût/efficacité.

  1. Nous nous sommes demandé si vous aviez régulièrement des désaccords avec certains acteurs tels que les autres fédérations d'hôpitaux (Fédération Hospitalière de France, Fédération de l'Hospitalisation Privée, Syndicat des Cliniques Spécialisées) ou les syndicats de médecins et de pharmaciens. Si oui, lesquels et sur quoi ?

Plutôt des points d'accord que de désaccord, et en tout cas pas d'ennemi. Dans les domaines de la santé, les dogmes lâchent devant le pragmatisme, et cela devrait sauver beaucoup de choses

  1. Pensez-vous que vos désaccords avec certains de ces organismes puissent être dépassés dans ce but de rayonnement stratégique ?

Les points de difficulté sont essentiellement liés à l'administration de la santé. Ainsi certains points de dogme perdurent (mais ne concernent pas la FNEHAD à proprement parlé, il s’agit plutôt d’un point de vue personnel). Il s'agit principalement de la réaction des personnels hospitaliers par rapport à l'hôpital public : les acteurs sont aujourd'hui encore et toujours bloqués sur un système de santé dont le financement a été conçu il y a plus de 60 ans.

  1. Avez-vous des contacts avec des structures équivalentes à la FNEHAD étrangères ou des acteurs des systèmes de santé étrangers ?

Non, trop peu. J'ai notamment mis en place au sein de la FNEHAD quatre commissions dont une internationale afin d'être curieux, de s’imprégner et de communiquer.

  1. Etes-vous à même de défendre votre vision du système de santé français dans le cadre de ces contacts ?

Ma vision dépasse mon simple rôle au sein de la FNEHAD. Cela est dû à toutes les fonctions que j'ai occupées jusqu'à présent.

  1. Quel rôle pourriez-vous jouer si une politique de santé européenne venait à se développer ?

La politique européenne viendra, c'est inéluctable : elle va d'abord porter sur les grands axes, à l'image des lois contre le tabagisme. Les thèmes seront essentiellement ceux de la santé publique. Je me souviens, lorsque j'étais au conseil des ministres européens de la santé, notamment sur le sujet de l'arrêt du tabac, d’avoir été instrumentalisée par des pays qui sont aujourd'hui en avance sur nous sur ce sujet.

Nous serons obligés de venir à une politique européenne, ne serait-ce que par la réduction des écarts coûts/travail, y compris dans le domaine de la santé. Le coût du travail va être petit à petit uniformisé. À terme, il y aura une convergence sociale. Cela se passera par le biais de la couverture sociale.

La FNEHAD est un acteur qui restera à sa place. Nous devons simplement montrer que ce que nous faisons est possible, afin de lever les craintes encore existantes. Le but est de démontrer notre savoir-faire afin de donner confiance. Un très bon exemple est la télé-médecine : cela marche.

  1. En France, il est courant de distinguer deux modèles pour le développement d’un système de santé "français" à l’étranger : le modèle de Bernard Kouchner et le modèle de Philippe Douste-Blazy (envoyer des médicaments mais pas de structure sur place pour les utiliser ; construire des structures mais pas de personnel sur place pour y travailler). Vous sentez vous plus proche d’un modèle en particulier ?

Les deux ont tort et raison. Les pays en voie de développement ont certes besoin d'aide, mais il s'agit essentiellement de l'Afrique, car l'Asie se débrouille bien à l'image de la Thaïlande dont le développement économique le permet.

  1. Comment pouvez-vous jouer votre rôle dans le développement ou la création d’un système de santé (en particulier des établissements hospitaliers et d'assistance privés) dans un pays étranger ?

Le problème de l'Afrique est que les compétences ne restent pas sur place : il faut aider l'Afrique à récupérer les compétences/personnes formées à l'étranger. Ne serait-ce que par un moyen de coopération qui pousserait les gens à passer six mois là-bas, six mois en France. Tant que ce mode de coopération, sans oublier l'éradication de la corruption, ne sera pas en place, il faudra conserver un mix des 2 modèles (Kouchner/Douste-Blazy).

Il serait également intéressant de réfléchir au fait que l'Afrique n'a peut-être pas besoin de personnes qui font plus de 10 ans d'études : pourquoi pas un statut à mi-chemin entre l'infirmier et le médecin (tel celui d’officier de santé qui avait été imaginé).

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